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Réflexions sur l’année 2021

posté 18th janvier 2022 par Professeur Austin Burt

Alors que l’année 2022 commence, je voudrais prendre un moment pour réfléchir aux événements marquants de l’année écoulée. Une autre année de pandémie a donné lieu à une autre année d’adaptations et de réorganisations. Malgré ces difficultés, le consortium Target Malaria a poursuivi ses activités de recherche, de développement et de renforcement des capacités.

Au Burkina Faso, l’équipe a partagé les résultats de sept mois de suivi après le lâcher en 2019 de moustiques mâles stériles génétiquement modifiés sans impulsion génétique. Ce lâcher était une première en Afrique et a permis à l’équipe de travailler en étroite collaboration avec les parties prenantes et les autorités réglementaires, ainsi que de recueillir des informations sur le comportement des moustiques génétiquement modifiés sur le terrain. Le lâcher de moustiques a permis à l’équipe de renforcer ses capacités en matière d’importation, d’élevage, de transport, de lâcher et de surveillance de moustiques génétiquement modifiés sans impulsion génétique, et de fournir des informations scientifiques.

Lâcher à petite échelle de moustiques mâles stériles génétiquement modifiés sans impulsion génétique par l’équipe de l’IRSS le 1er juillet 2019 dans le village de Bana, au Burkina Faso

Au Mali, deux années d’études en laboratoire sur une souche de moustiques mâles stériles génétiquement modifiés sans impulsion génétique ont été conclues avec succès en novembre 2021. De nouvelles compétences de pointe en entomologie, biologie moléculaire et génétique ont été développées, ce qui a permis à l’équipe d’entretenir des colonies de moustiques locaux et génétiquement modifiés.

Target Malaria Ouganda a également connu une année 2021 chargée. Il était passionnant de suivre de loin l’équipe de l’Institut ougandais de recherche sur les virus (UVRI) qui s’est rendue en octobre sur l’île de Jaana, sur le lac Victoria, pour une expédition entomologique de trois semaines visant à examiner la population d’An. gambiae à l’aide de l’approche CKMR (Close Kin Mark Recapture). La CKMR est une technique utilisée pour estimer la taille de la population d’une espèce particulière dans une zone donnée en identifiant les paires proches (parents–descendants ou demi-frères et sœurs) parmi une collection d’insectes ou d’animaux échantillonnés. Nos équipes vont à présent poursuivre l’examen de ces moustiques en laboratoire afin de mieux comprendre ces insectes. D’autres expéditions de ce type se poursuivront au cours de l’année 2022 pour ce projet de recherche conjoint entre Target Malaria, l’UVRI et l’université de Notre Dame aux Etats-Unis. L’équipe de l’insectarium a travaillé sans relâche pour préparer de futurs travaux sur les moustiques génétiquement modifiés, et a conclu un audit interne à la fin de l’année dans le cadre du processus réglementaire.

Entre-temps, des équipes de chercheurs de Target Malaria en Italie et au Royaume-Uni ont démontré avec succès que les moustiques avec impulsion génétique peuvent réduire les populations de moustiques dans de grandes cages imitant les environnements naturels[1]. L’étude marque un jalon important dans l’approche par étapes de Target Malaria pour développer un outil innovant de contrôle vectoriel et établit un paradigme bénéfique pour combler le fossé des connaissances entre le laboratoire et le terrain.

Moustiques avec impulsion génétique étudiés dans le laboratoire Crisanti de l’Imperial College, à Londres

Ce succès est dû en partie aux améliorations que nous avons apportées à nos constructions génétiques afin de mieux contrôler le moment et l’endroit où les gènes se manifestent dans le moustique, comme le souligne cette publication : Regulating the expression of gene drives is key to increasing their invasive potential and the mitigation of resistance [La régulation de l’expression des impulsions génétiques est essentielle pour augmenter leur potentiel invasif et l’atténuation de la résistance].[2]

Tandis que nous avons obtenu d’importants succès techniques dans l’ensemble du projet, nous avons également progressé sur le front de l’évaluation des risques. Nos équipes chargées des risques et de la réglementation ont publié un article dans la publication Malaria Journal, utilisant la formulation de problèmes pour évaluer les impacts potentiels que le lâcher de moustiques avec impulsion génétique en tant qu’outil de lutte contre le paludisme pourrait avoir sur l’environnement ou sur la santé humaine et animale. Cette étude représente la première identification systématique et complète des impacts potentiels des moustiques avec impulsion génétique sur l’environnement, la santé animale et humaine. Elle ouvre la voie à un long processus d’études et d’évaluations des risques et des impacts qui devront être menées pour analyser les risques et les avantages de cette nouvelle technologie.

Un effet secondaire potentiellement néfaste de la réduction du nombre de moustiques An. gambiae est qu’elle pourrait avoir des effets écologiques en cascade sur l’environnement. Au Ghana, des chercheurs de l’université du Ghana collaborent avec des collègues de l’université d’Oxford et de l’université de Guelph dans le cadre d’un projet de recherche pionnier visant à étudier les implications écologiques de la réduction des populations d’Anopheles gambiae. Concrètement, les chercheurs ont collecté des données sur le terrain qui conduiront à la création d’un « réseau écologique » cartographiant la manière dont les organismes de l’écosystème local du Ghana interagissent avec les moustiques An. gambiae. L’objectif est de comprendre le rôle que ces espèces de moustiques jouent dans l’écosystème et de modéliser la façon dont les interactions actuelles changeraient si leur nombre devait être réduit dans le but de contrôler le paludisme par des approches d’impulsion génétique.

Ces interactions peuvent varier d’un endroit à l’autre et, en parallèle, nous avons travaillé en Ouganda pour caractériser les prédateurs et compétiteurs potentiels des larves d’An. gambiae [3]. Nous avons également examiné les publications scientifiques afin d’évaluer la probabilité qu’une réduction de la densité de moustiques An. Gambiae entraîne le lâcher compétitif d’une autre espèce vectorielle[4].

Une autre source potentielle de risque pour les impulsions génétiques basées sur CRISPR pourrait survenir en cas de coupe de sites non ciblés dans le génome (« effets hors cible »), et nous avons collaboré avec des experts aux États-Unis pour développer des méthodes de détection de ce type d’événements. Les études que nous avons menées jusqu’à présent suggèrent qu’avec une conception appropriée, les taux de clivage hors cible peuvent être réduits à des niveaux indétectables[5].

La modélisation mathématique joue un rôle important à la fois dans notre projet et dans le domaine de la recherche et du développement de l’impulsion génétique dans son ensemble, afin d’aider à guider la recherche en laboratoire et de prédire comment les performances en laboratoire se traduiront sur le terrain.

L’année dernière, nous avons utilisé la modélisation mathématique afin d’étudier comment les différences de séquences entre les populations pouvaient être utilisées pour limiter la propagation d’une impulsion génétique [6] ; comment les différences de séquences dans la même population au cours de différentes années peuvent être utilisées pour estimer le nombre de moustiques [7] ; les conditions dans lesquelles une impulsion génétique est censée supprimer ou éliminer une population cible [8] ; et les conditions dans lesquelles la résistance à une impulsion génétique est susceptible d’évoluer [9].

Chez Target Malaria, l’engagement des parties prenantes est au cœur de notre travail, et nous pensons que la recherche doit s’appuyer sur un effort de collaboration entre les scientifiques et les personnes potentiellement affectées par ses résultats. À ce sujet, je vous recommande de lire les différentes publications de nos spécialistes en matière d’engagement des parties prenantes :

  • Cet article paru dans la publication Malaria Journal explique comment les équipes de Target Malaria ont réussi à surmonter les difficultés linguistiques en co-développant une série de glossaires en langue locale avec les communautés vivant près des sites de terrain au Mali, au Burkina Faso et en Ouganda.
  • Cette contribution d’opinion publiée dans Nature Human Behaviour explore la relation entre la science et ses utilisateurs finaux en soulignant que la complexité de la recherche scientifique ne devrait jamais être un obstacle à un engagement significatif avec les communautés concernées.
  • Cet article paru dans Malaria Journal documente l’engagement des communautés avant le premier lâcher de moustiques génétiquement modifiés au Burkina Faso. Il explore les réalisations pratiques et les défis associés à l’engagement des parties prenantes. Les leçons tirées de cette expérience seront cruciales pour les étapes ultérieures du projet auprès des communautés, des parties prenantes et du grand public.
  • Les résultats des débats de l’atelier organisé en 2020 en partenariat avec le Kenya Medical Research Institute (KEMRI) et la Pan-African Mosquito Control Association (Association panafricaine de lutte contre les moustiques [PAMCA]) afin de définir les meilleures pratiques pour obtenir l’accord de la communauté, sont désormais disponibles dans Gates Open Research et représentent une première étape cruciale dans l’élaboration d’un modèle d’engagement des parties prenantes et d’accord communautaire.

Le projet est très motivé par l’idée de se lancer dans un nouveau type d’étude : une évaluation de l’impact environnemental, social, économique et sanitaire (ESHIA). Cette étude sera commissionnée au Burkina Faso afin d’identifier, d’analyser et de proposer des plans de gestion pour les impacts positifs et négatifs de son prochain lâcher potentiel de moustiques génétiquement modifiés sans impulsion génétique. Cette évaluation comportera une composante essentielle de participation communautaire, et nous espérons qu’elle permettra d’obtenir une compréhension complète et partagée des impacts, ainsi que des plans pour les gérer. En parallèle, le projet envisage également de commissionner une étude préliminaire d’évaluation environnementale stratégique (Strategic Environmental Assessment -SEA) afin d’entamer le dialogue avec un large éventail de parties prenantes quant aux impacts positifs et négatifs potentiels d’un futur protocole pour les lâchers de moustiques à impulsion génétique en tant qu’outil de contrôle vectoriel en Afrique.

Le projet est fier d’avoir publié 22 articles scientifiques l’année dernière.

2021 est également l’année où Target Malaria a officiellement lancé ses réseaux sociaux sur Twitter et LinkedIn, et nous comptons aujourd’hui 1 600 personnes nous suivant sur ces deux réseaux ! Grâce à nos nouveaux comptes, nous sommes ravis d’avoir pu participer à la campagne « Draw the Line Against Malaria » de Zero Malaria avec nos jeunes chercheurs dans le cadre de la Journée mondiale sur le paludisme.

Dans la communauté du paludisme au sens large, 2021 a été une année d’innovation continue, d’excellence scientifique et de progrès. Dans le contexte du déploiement mondial des vaccins contre la COVID-19, des étapes historiques concernant les vaccins contre le paludisme ont été franchies en parallèle.

Target Malaria a célébré la recommandation par l’Organisation mondiale de la santé du tout premier vaccin contre le paludisme comme outil complémentaire de prévention du paludisme pour les enfants en Afrique. Cette annonce est un rappel important du rôle central de la recherche et de l’innovation pour sauver des vies, et nous devons féliciter tous les chercheurs qui ont participé à cet effort, qui a nécessité près de 30 ans de travail par le biais d’un vaste partenariat public-privé.

En outre, après le lancement de son vaccin à ARN messager (ARNm) contre la COVID-19, la société BioNTech a annoncé son intention de mettre au point le premier vaccin contre le paludisme basé sur la technologie de l’ARNm ; les essais cliniques devraient débuter d’ici la fin 2022. BioNTech a également fait part de son intention d’explorer la production de vaccins en Afrique dans le cadre de ses efforts pour renforcer les capacités de production sur le continent. Cette évolution met en évidence le rôle de l’innovation continue pour garder une longueur d’avance sur le parasite du paludisme, l’importance de rapprocher la recherche des besoins et la nécessité d’une approche complémentaire sur plusieurs fronts. Une suppression étendue réduira encore le défi de la transmission du paludisme, en particulier chez les personnes qui n’ont pas été vaccinées ou qui n’ont pas bénéficié de la chimioprévention saisonnière, et chez celles qui sont exposées à une activité accrue des moustiques.

En mai, l’OMS a diffusé la deuxième édition de son cadre d’orientation pour les essais sur des moustiques génétiquement modifiés. Target Malaria a accueilli favorablement cette deuxième édition, car elle fournit un cadre précieux pour la recherche du consortium en mettant davantage l’accent sur des sujets tels que : les essais sur le terrain, la gouvernance, le développement et la réglementation des moustiques génétiquement modifiés, y compris ceux incorporant l’impulsion génétique. L’OMS souligne également la nécessité de mettre à jour les réglementations nationales en matière de biosécurité afin de couvrir les nouvelles technologies, les nouveaux environnements d’application et l’inclusion de biens publics plus larges. Les lignes directrices renforcent la déclaration de l’OMS publiée en octobre 2020, qui indiquait : « Reconnaissant le besoin urgent de nouveaux outils pour lutter contre les maladies à transmission vectorielle, et dans l’esprit d’encourager l’innovation, l’OMS soutient l’étude de toutes les technologies potentiellement bénéfiques, y compris les moustiques génétiquement modifiés ».

Le rapport mondial sur le paludisme publié par l’OMS en décembre a été un moment charnière pour la communauté de la lutte contre le paludisme. Il a révélé une augmentation du nombre total de décès dus au paludisme, en raison d’une nouvelle méthodologie qui réévalue le nombre de décès dus au paludisme chez les enfants de moins de cinq ans entre 2000 et 2020. Le rapport souligne que l’Afrique continue de subir le plus lourd fardeau du paludisme, représentant 95 % de tous les cas de paludisme et 96 % du nombre total de décès dus au paludisme. Le rapport souligne la nécessité d’adopter de nouvelles approches et d’intensifier considérablement les efforts à l’aide de nouveaux outils afin d’atteindre les objectifs fixés pour 2030 dans la lutte contre le paludisme.

En 2021, j’ai été inspiré par les avancées remarquables réalisées par la communauté de la lutte contre le paludisme et je tiens à remercier tous ceux qui continuent à travailler sans relâche pour atteindre notre objectif commun : un monde sans paludisme.

Je vous souhaite à tous une heureuse année 2022 et une bonne santé.


Références

[1] Hammond, A., Pollegioni, P., Persampieri, T. et al. Gene-drive suppression of mosquito populations in large cages as a bridge between lab and field. Nat Commun 12, 4589 (2021). https://doi.org/10.1038/s41467-021-24790-6

[2] Hammond A, Karlsson X, Morianou I, Kyrou K, Beaghton A, Gribble M, Kranjc N, Galizi R, Burt A, Crisanti A, Nolan T. Regulating the expression of gene drives is key to increasing their invasive potential and the mitigation of resistance. PLoS Genet. 2021 Jan 29;17(1)

[3] Onen, H., Odong, R., Chemurot, M. et al. Predatory and competitive interaction in Anopheles gambiae sensu lato larval breeding habitats in selected villages of central Uganda. Parasites Vectors 14, 420 (2021). https://doi.org/10.1186/s13071-021-04926-9

[4] Qureshi, A., Connolly, J.B. A systematic review assessing the potential for release of vector species from competition following insecticide-based population suppression of Anopheles species in Africa. Parasites Vectors 14, 462 (2021). https://doi.org/10.1186/s13071-021-04975-0

[5] Garrood WT, Kranjc N, Petri K, Kim DY, Guo JA, Hammond AM, Morianou I, Pattanayak V, Joung JK, Crisanti A, Simoni A. Analysis of off-target effects in CRISPR-based gene drives in the human malaria mosquito. Proc Natl Acad Sci U S A. 2021 Jun 1;118(22):e2004838117. doi: 10.1073/pnas.2004838117. Epub 2021 Apr 30. PMID: 34050017; PMCID: PMC8179207.

[6] Willis K, Burt A, Double drives and private alleles for localized population genetic control. PLoS Genet. 2021 Mar 23;17(3)

[7] Hui TJ, Brenas JH, Burt A. Contemporary Ne estimation using temporally spaced data with linked loci. Mol Ecol Resour. 2021 Oct;21(7):2221-2230 https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/1755-0998.13412.

[8] Beaghton PJ and Burt A. Gene drives and population persistence vs elimination: the impact of spatial structure and inbreeding at low density. (Preprint) https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2021.11.11.468225v2.

[9] Bhavin S. Khatri BS, Burt A. Weakly deleterious natural genetic variation amplifies probability of resistance in multiplexed gene drive systems (Pre-print) https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2021.12.23.473701v2.