L’OMS publie un cadre d’orientation actualisé pour l’évaluation des moustiques génétiquement modifiés
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La seconde édition du document de l’OMS Guidance framework for testing of genetically modified mosquitoes (Cadre d’orientation pour l’évaluation des moustiques génétiquement modifiés), y compris pour ceux qui renferment une impulsion génétique, vient d’être publiée et ce, sept ans après la version originale. En l’espace de sept ans, d’autres orientations axées spécifiquement sur les impulsions génétiques ont été publiées, plus particulièrement le NASEM report on gene drive research in non-human organisms (Rapport NASEM sur la recherche en matière d’impulsion génétique sur les organismes non-humains) publié aux États-Unis en 2016 ; et du côté de l’EFSA, la réévaluation de ses orientations concernant l’évaluation des risques posés par les animaux génétiquement modifiés, en considérant spécifiquement les applications de l’impulsion génétique en Europe, en 2020. Target Malaria accueille favorablement cette seconde édition qui fournit un cadre important pour les travaux de recherche du consortium.
Depuis 2014, de nombreux progrès ont été réalisés dans le développement des moustiques génétiquement modifiés comme outil de santé publique visant à interrompre la transmission des maladies vectorielles. Des moustiques génétiquement modifiés sans impulsion génétique ont été approuvés et relâchés dans des applications spécifiques de terrain (dont certaines à l’échelle commerciale) en Amérique du Sud, en Amérique du Nord et en Afrique ; des améliorations pour la prochaine génération ont été mises en œuvre en termes de performances et de gestion des risques sur la base des enseignements tirés de ces lâchers. Bien qu’aucun lâcher environnemental de moustique génétiquement modifié à impulsion génétique ne soit intervenu à ce jour, les développements en laboratoire ont fait avancer la technologie de sorte à lui permettre de produire des produits potentiels de plus en plus concrets.
Or, ce n’est pas seulement la technologie qui a évolué au cours des sept dernières années. Les régulateurs et les membres du public se sont familiarisés graduellement avec les processus intervenant dans le développement d’approches génétiques de la lutte anti-vectorielle. L’engagement avec les communautés exposées aux maladies endémiques, ainsi qu’avec des groupes d’intérêt général incarnant les valeurs sociales, des scientifiques et des décideurs politiques ont contribué à déterminer quelles sont les nombreuses aspirations et préoccupations bien articulées en rapport avec l’utilisation de ces technologies novatrices. Sans compter que c’est désormais le monde entier, et non plus seulement les populations exposées aux maladies infectieuses endémiques, qui a été exposé à la plus importante pandémie de ce siècle. Nous voyons également les contributions d’importance majeure qu’ont apportées pour les vaccins la biologie synthétique ainsi que la mise en œuvre d’outils de diagnostic génétique à grande échelle qui sont appropriés pour la surveillance de terrain.
Quels changements constate-t-on dans le Cadre d’orientation actualisé ? Si certaines questions restent inchangées, comme p. ex. les décisions que doivent prendre les développeurs, les membres du public et les régulateurs, que le Cadre d’orientation continue à traiter systématiquement, les nouveaux accents mis dans cette nouvelle édition attestent de l’expérience de ces dernières années.
Examinons les éléments qui perdurent et ceux qui sont nouveaux :
Les questions fondamentales relatives à l’évaluation de toute nouvelle technologie de lutte anti-vectorielle sont toujours présentes. Il est essentiel d’examiner le mode de fonctionnement de nouvelles approches génétiques de la lutte anti-vectorielle, de savoir si elles ont des effets inacceptables sur les populations et l’environnement, si la technologie est efficace, son mode de régulation et si elle est en accord avec les valeurs sociétales. L’accent est toujours mis sur l’évaluation des risques, tout en faisant acte du caractère inacceptable des maladies vectorielles à travers le monde, un problème qui est de plus en plus difficile à surmonter. Le Cadre d’orientation indique également que la surveillance des lâchers de terrain doit être assurée de manière indépendante et que des démonstrations à grande échelle de l’efficacité épidémiologique nécessiteront la constitution d’un conseil indépendant de supervision des données et de la sécurité, semblable à celui qui intervient dans les essais cliniques. L’étude de risque et la gestion des risques doivent être proportionnelles. Enfin, comme c’est le cas de la récente analyse de l’EFSA concernant les orientations pour les insectes à impulsion génétique, l’OMS reconnaît que si les approches génétiques de la lutte anti-vectorielle sont différentes (et évoluent continuellement), la plupart des questions dans leur évaluation des risques n’ont rien de nouveau si on les compare aux organismes génétiquement modifiés antérieurs ou à de nombreux systèmes classiques de lutte anti-vectorielle.
Le Cadre d’orientation actualisé de l’OMS met toutefois l’accent sur des éléments nouveaux, particulièrement en ce qui concerne l’évaluation de terrain, la gouvernance, le développement et la réglementation des moustiques génétiquement modifiés, y compris ceux renfermant une impulsion génétique.
Pour les technologies de lutte anti-vectorielle à base d’impulsion génétique à caractéristiques autonomes, comme celle qui est actuellement développée par Target Malaria, le Cadre d’orientation recommande un processus d’évaluation de terrain par étapes qui aboutira à un enchaînement de lâchers successifs de plus en plus larges. Cela exigera une certaine acceptation des risques qui soit proportionnelle aux attentes raisonnables de bénéfices à venir. Le processus serait appuyé par des tests minutieux d’évaluation de la sécurité effectués en laboratoire, pour évaluer par exemple la compétence vectorielle des moustiques modifiés, renforcés par des démonstrations en cage des effets du contrôle. Les impacts à long terme, de plus grande envergure, pourraient être démontrés à l’aide de scénarios modélisés puisant dans les enseignements tirés à l’aide de principes écologiques au sein de populations naturelles et contrôlées bien étudiées. La décision du passage aux lâchers de terrain dépendra alors d’un raisonnement bien justifié à savoir que les moustiques génétiquement modifiés à impulsion génétique ne seront pas plus nocifs pour la santé humaine que les moustiques sauvages correspondants, et n’entraîneront pas pour l’écosystème des conséquences plus négatives que d’autres interventions classiques de lutte anti-vectorielle.
La gouvernance de toute nouvelle technologie exige de discuter ouvertement des scénarios de lâchers. Il appartient aux développeurs d’expliquer le mode de fonctionnement d’une technologie, pourquoi elle sera probablement efficace, tout impact secondaire possible et la façon dont le système de lutte anti-vectorielle sera géré. Les régulateurs et les membres du public, en revanche, doivent être à l’écoute de la proposition et la discussion qui s’ensuit doit s’assurer que les enjeux scientifiques critiques et les valeurs des parties prenantes sont bien entendus et actés.
Le cadre d’orientation actualisé de l’OMS recommande que les technologies génétiques novatrices pour la lutte anti-vectorielle, y compris les moustiques à impulsion génétique, soient co-développées avec un éventail de partenaires et avec les communautés. Le co-développement de la technologie permettra de s’assurer que l’outil résultant part des connaissances et des valeurs de ceux et celles qui bénéficieront de son adoption, tout en favorisant la durabilité à long terme de l’intervention. Du co-développement découle ensuite la co-responsabilité pour la surveillance ultérieure, l’adaptation permanente et la gestion équitable à l’avenir.
Le Cadre de l’OMS établit par ailleurs que les développeurs et les régulateurs doivent pouvoir communiquer entre eux et coopérer dans leurs rôles respectifs, à savoir de répondre aux besoins du public. Si les régulateurs doivent veiller à un processus objectif et solide conduisant à l’autorisation des technologies GM, il leur faut pour cela l’appui des développeurs qui aident à se familiariser progressivement avec les objectifs et le fonctionnement des systèmes de lutte anti-vectorielle proposés. Enfin, les développeurs et les régulateurs doivent prendre conscience qu’ils servent le public et veiller à être à l’écoute de ses préoccupations et de ses attentes.
Pour conclure, si les expériences antérieures avec les cultures GM continuent à éclairer l’approche réglementaire des stratégies de lutte anti-vectorielle telle qu’elle figure dans le Cadre d’orientation actualisé, la nouvelle édition aborde également la nécessité d’aider les régulateurs à appréhender quelles sont les différences entre des moustiques génétiquement modifiés et des cultures GM, ainsi que la responsabilité qui leur revient d’inclure les bénéfices d’intérêt général en matière de santé publique en tant que facteurs pertinents dans le processus décisionnel concernant les moustiques génétiquement modifiés. L’OMS souligne également la nécessité d’actualiser les réglementations nationales en matière de biosécurité afin de couvrir les nouvelles technologies, les nouveaux environnements d’application et l’inclusion de l’intérêt général au sens large.