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Étude des conséquences écologiques potentielles des approches avec l’impulsion génétique pour la lutte anti-vectorielle

posté 16th novembre 2021 par Alima Qureshi

Le projet Target Malaria cherche à lutter contre le paludisme en luttant contre le moustique responsable de la transmission du paludisme. Les technologies que nous cherchons à développer visent à minimiser la transmission du paludisme en réduisant la population de moustiques Anopheles gambiae, l’un des principaux vecteurs de la maladie en Afrique subsaharienne. Pendant que les travaux de recherche en laboratoire se poursuivent, notre approche est délibérément prudente et itérative. L’étude des impacts environnementaux potentiels qui pourraient suivre un lâcher de moustiques à impulsion génétique sur le terrain constitue une partie centrale de nos travaux.

L’une des problématiques qu’il s’agit d’éclaircir plus avant est celle du « remplacement potentiel de la niche écologique ». Si la population d’Anopheles gambiae venait à réduire, quels autres vecteurs de maladie pourraient potentiellement venir prendre sa place dans l’écosystème ? Même si, en soi, le « remplacement de la niche » ne serait pas forcément nuisible, cela poserait problème s’il venait à entraîner une transmission accrue du paludisme ou d’une autre maladie.

Étant donné que certaines méthodes existantes de lutte anti-vectorielle, telles que les insecticides, fonctionnent aussi en réduisant le nombre de moustiques vecteurs du paludisme, l’examen des conséquences de l’utilisation sur le terrain de ces mesures pré-existantes depuis des décennies permettrait d’évaluer si ces approches à impulsion génétique pourraient entraîner un remplacement de la niche écologique. Dans notre papier qui vient d’être publié, nous avons posé la question : « L’utilisation historique d’insecticides pour lutter contre les moustiques du paludisme, par exemple via des moustiquaires imprégnées ou la pulvérisation d’insecticide dans les habitations, a-t-elle été associée à une augmentation quelconque de la densité des populations d’espèces vectorielles non ciblées ? ».

« L’utilisation historique d’insecticides pour lutter contre les moustiques du paludisme a-t-elle été associée à une augmentation quelconque de la densité des populations d’espèces vectorielles non ciblées ? »

Pour y répondre, nous avons procédé à une revue documentaire systématique afin d’identifier des études publiées ayant mesuré les densités de populations d’espèces vectorielles avant et après des interventions de lutte anti-vectorielle à base d’insecticide en Afrique. Pour plus de transparence, notre analyse a été conduite en suivant les orientations internationales PRISMA et notre protocole publié il y a plus d’un an dans la base de données PROSERO d’enregistrement international d’études systématiques, bien avant de commencer à faire des recherches formelles.

Nous avons identifié initialement plus de 5 500 publications à partir de trois moteurs de recherche différents, mais appliqué ensuite une sélection de critères d’inclusion et d’exclusion définis dans notre protocole, afin de filtrer les études présentant des limitations dans leur méthodologie ou leurs données. Cela a permis de ramener à 30 le nombre d’études sélectionnées pour notre analyse. Nous avons ensuite assigné à chacune de ces publications une catégorie (sur trois) selon qu’elles montraient un changement de densité de population faisant intervenir la réduction de deux espèces de vecteurs ou plus (Catégorie D), l’augmentation de deux espèces de vecteurs ou plus (Catégorie I), ou l’augmentation d’une espèce de vecteurs concomitante à la réduction d’une autre espèce de vecteurs (Catégorie ID).

Notre recherche a identifié cinq études dans la catégorie ID montrant que l’utilisation d’insecticide pour la lutte anti-vectorielle pourrait conduire au remplacement des espèces vectorielles ciblées par d’autres espèces apparentées ayant en commun des habitats aquatiques larvaires.

Remplacement d’An. Gambiae s.s. par An. Arabiensis après l’utilisation de moustiquaires imprégnées en Tanzanie en 2006

Cependant, dans ces cinq études, il semblerait que les vecteurs du paludisme hautement efficaces soient remplacés par des vecteurs de transmission du paludisme moins efficaces. De plus, dans deux de ces études qui avaient également fourni des données ayant trait à l’incidence de la maladie, les indicateurs de transmission du paludisme étaient aussi en baisse, ce qui suggère que la hausse des espèces vectorielles en concurrence n’a pas entraîné la hausse de transmission du paludisme dans ces conditions.

Dans la lignée de ces observations, notre étude n’a pas non plus trouvé d’éléments convaincants montrant que la réduction de la population d’An. gambiae s.l. au moyen d’insecticides pourrait conduire à une hausse quelconque des populations d’espèces extérieures au genre Anopheles, telle qu’Aedes aegypti, une espèce vectorielle majeure responsable de la transmission de la dengue et de la fièvre jaune.

Qu’est-ce que cela signifie pour les considérations relatives à l’utilisation potentielle de l’impulsion génétique sur le terrain ? Comme c’est le cas pour les insecticides, les formes novatrices de lutte anti-vectorielle, comme les approches à impulsion génétique, pourraient également entraîner une hausse des populations de vecteurs non ciblés ayant en commun les mêmes habitats aquatiques larvaires ou prédateurs que le moustique Anopheles gambiae vecteur du paludisme. Comme pour les insecticides, ces interventions pourraient ainsi réduire effectivement l’incidence du paludisme et donc, globalement, le fardeau de la maladie, même si l’on tient compte de remplacements potentiels de la niche écologique.

Nous espérons qu’à l’avenir ces conclusions contribueront à éclairer la mise en œuvre des approches existantes et futures de gestion des vecteurs pour la lutte anti-paludique.

Pour plus d’information sur le rôle des niches écologiques, veuillez vous reporter à notre fiche d’information : Impacts humains et environnementaux potentiels du lâcher de moustiques à impulsion génétique sur d’autres espèces de moustiques