Réflexion sur mon parcours dans la lutte contre le paludisme avec le réseau de jeunes scientifiques de Target Malaria
posté 18
Récemment, Target Malaria m’a invitée à parler de mon travail de plaidoyer à son réseau de jeunes scientifiques, Young Scientists’ Network, lors d’un webinaire réunissant des jeunes scientifiques d’Ouganda, du Burkina Faso et du Ghana. Ce que je n’avais pas prévu, c’est à quel point cette expérience allait m’inspirer et me rappeler les raisons pour lesquelles j’ai entamé mon parcours dans la recherche et le plaidoyer sur le paludisme. Cette réflexion ne porte pas seulement sur ma conversation avec mes pairs, mais aussi sur mon parcours dans la lutte contre le paludisme et sur les leçons que j’espère transmettre à la prochaine génération de scientifiques et de militants, alors même que je poursuis ma quête pour mettre fin au paludisme en Afrique.
J’ai grandi à Tudun Wada, une petite communauté de Jos, au Nigeria, et le paludisme était une menace constante qui a façonné mon point de vue à bien des égards. À l’époque, il était si courant d’attraper cette maladie saisonnière que nous avions l’impression qu’elle faisait partie de notre routine. Chaque fièvre était traitée comme s’il s’agissait du paludisme. Trop de vies ont été perdues alors que le paludisme est une maladie évitable et traitable. Mes souvenirs d’enfance ne sont pas seulement remplis d’histoires de résilience, mais aussi de pertes tragiques. Je me souviens encore que mon ami a perdu son jeune frère de 14 ans à cause du paludisme et que cette triste expérience a traumatisé non seulement sa famille et ses amis, mais aussi l’ensemble de la communauté.
Odinaka effectue un test de dépistage du paludisme sur un patient à Kisaloi, dans le centre-nord du Nigeria, lors d’une intervention médicale communautaire. Crédit : Odinaka Kingsley Obeta
Tudun Wada était une communauté isolée et défavorisée, ce qui rendait difficile l’accès à une éducation de qualité. Pour aller en classe, les élèves de l’école secondaire devaient traverser une rivière qui débordait généralement pendant la saison des pluies. Certains jours, nous devions attendre deux ou trois heures que le niveau de l’eau baisse avant d’oser traverser. Les retards et les jours d’école manqués affectaient notre apprentissage et notre assiduité, et un certain nombre d’élèves se sont complètement désintéressés de l’école. Bien que frustrants, ces moments m’ont appris la patience, la résilience et l’importance de la persévérance. En tant que première personne de ma famille à fréquenter une université, ma communauté immédiate et mes parents partageaient mes espoirs et mes aspirations.
Mon point de vue sur le paludisme a changé lors d’un de mes cours de parasitologie médicale sur « l’épidémiologie du paludisme ». J’ai compris non seulement l’épidémiologie de la maladie, mais aussi son impact sociétal et structurel, qui perpétue un cycle de pauvreté et de vulnérabilité dans des communautés comme la mienne.
En avril 2017, alors que j’étais bénévole pour un événement organisé dans le cadre de la Journée mondiale contre le paludisme avec l’Association of Medical Laboratory Scientists of Nigeria, je me suis surpris à penser que la lutte contre le paludisme au Nigéria devait aller plus loin que le simple fait de brandir des pancartes. Ne pourrions-nous pas impliquer les communautés de manière plus profonde et plus significative afin d’avoir un impact sur les cas de paludisme et les décès qui en découlent ? Les jeunes pourraient-ils jouer un rôle plus important dans la lutte contre cette maladie ?
Ces questions me sont restées en tête et m’ont inspiré le lancement de Block Malaria Africa Initiative, une initiative d’intervention contre le paludisme axée sur la mise en œuvre d’engagements locaux visant à éduquer les communautés sur la prévention du paludisme au Nigéria. Block Malaria Africa Initiative vise à donner aux jeunes Africains les moyens d’agir contre le paludisme, de lutter contre le changement climatique, de combler le fossé entre le gouvernement et les communautés, tout en promouvant des solutions durables. Grâce à notre travail dans le cadre de Block Malaria Africa, j’ai pu apprécier le pouvoir de l’engagement direct avec les populations les plus vulnérables touchées par le paludisme. Écouter les histoires de ces communautés et co-créer des solutions a donné à notre plaidoyer une profondeur et une authenticité qu’aucune affiche ne pourrait jamais avoir. C’est la preuve que les progrès réels commencent vraiment à l’échelle des communautés.
Odinaka s’exprimant lors du dialogue intergénérationnel organisé par le groupe de travail des jeunes du Partenariat RBM à Berlin. Crédit : Odinaka Kingsley Obeta
Au fil des années, j’ai eu l’occasion de faire entendre la voix des jeunes lors de réunions de haut niveau et de conférences internationales dans le monde entier. Je me souviens très bien de ma première réunion à l’international – j’ai ressenti un mélange d’admiration et d’intimidation. Entourée d’experts et de décideurs politiques chevronnés, je ne savais pas comment apporter une contribution significative. Mais en écoutant et en apprenant, j’ai trouvé ma voix.
Ce qui m’a aidé à établir des liens, c’est le partage de mes histoires et de mes expériences personnelles. Ces moments m’ont appris le pouvoir de la narration dans le domaine du plaidoyer. Au fil des années, j’ai compris que le partage d’expériences vécues pouvait combler des fossés, susciter l’empathie et inspirer l’action d’une façon que les données seules ne peuvent pas faire.
A mesure que ma confiance grandissait, j’ai commencé à apprendre les subtilités de la négociation, du plaidoyer, de la communication et du réseautage. Ces compétences sont devenues cruciales dans mon rôle de responsable pour l’Afrique de l’Ouest au sein du Conseil consultatif des jeunes de l’Alliance des leaders africains contre le paludisme (ALMA) et de coprésidente du groupe de travail des jeunes du Partenariat RBM pour l’éradication du paludisme (RBM Partenership to End Malaria). Ces plateformes m’ont montré le potentiel de transformation des initiatives menées par les jeunes. Grâce à des programmes de mentorat, à des ateliers de renforcement des capacités et à des projets de collaboration, nous préparons de jeunes leaders à conduire le changement.
Aux jeunes scientifiques africains qui souhaitent devenir des leaders et des défenseurs de la lutte contre le paludisme, je dirais que si la recherche est vitale, sa véritable valeur réside dans son application. Rédiger des notes de synthèse, participer à des plateformes de prise de décision et partager les résultats lors de conférences internationales sont autant de moyens pour les jeunes scientifiques de s’assurer que leur travail a un impact tangible. Le plaidoyer ne se limite pas à ce que l’on sait, c’est aussi ce que l’on fait avec ce savoir.
Quand je repense au webinaire avec Young Scientists Network, je suis remplie d’espoir. Ces jeunes scientifiques de l’Ouganda, du Burkina Faso et du Ghana ont apporté de l’enthousiasme, de la curiosité et des idées nouvelles à la conversation. Leurs questions m’ont rappelé pourquoi j’ai commencé ce voyage et pourquoi il est important pour moi de rester engagé dans cette lutte.
La lutte contre le paludisme a besoin de nous tous, de notre science, de nos histoires et de notre engagement en faveur du changement. J’invite tous ceux qui sont déjà impliqués à poursuivre leur travail, sachant que chaque pas en avant nous rapproche de l’objectif « zéro paludisme ».
Le plaidoyer ne se limite pas à ce que l’on sait, c’est aussi ce que l’on fait avec ce savoir.